Protection Massif du Chenaillet

Il y a 50 ans déjà : le délire Super-Cervières et ses avatars ultérieurs

Autopsie de Super-Cervières (extrait de la Paparelle n°11 - juin 2015)

Dès 1961 des projets de station de ski alpin ont été imaginés sur la Haute Vallée de la Cerveyrette.

En 1964 Maurice Michaud, fonctionnaire du département des Travaux Publics et directeur du Service d'Aménagement de la Montagne avait prévu pour la France un plan de développement touristique qui avait pour but Ia création de superstations de sports d' hiver, seule solution , à son avis, pour résoudre tous les problèmes de la montagne. La «doctrine Michaud» voulait urbaniser la montagne par le moyen d'un procédé d'exploitation industriel: c'était l'époque du mythe «or blanc» et le domaine skiable était considéré comme une source de gros profits financiers.

Ainsi, de 1967 à 1969, dans cette optique, un groupe financier belge veut déjà acheter les terres de la haute vallée à des prix dérisoires , ce que les cerveyrins refusent, malgré des pressions politiques.

En 1970, l’État établit le plan Neige dans lequel est prévu une station de 15 000 lits pour SUPER CERVIÈRES. Sur certains documents on envisagera même d’aller jusqu’à 40 000 lits par une extension jusqu’aux Chalps et aux Fonts. On parle d’un lac, d’un héliport, de terrains de golf… Mais face à l’ampleur du projet, les tarifs de rachat de terres sont toujours aussi ridiculement bas et les emplois proposés dérisoires.

L’Association d’Étude et de Sauvegarde de la Vallée de Cervières (AESC), créée en1969, contribuera grandement à l’échec de ce projet.

Dès sa création l’AESC qui a travaillé sur le classement et la mise en réserve naturelle des sites, a adopté une position très claire : « l’examen de projets concrets et visant à assurer beaucoup mieux qu’une super-station, le développement harmonieux de la commune par le maintien des activités agricoles pastorales et un tourisme adapté à la vie rurale ».

L’AESC établit alors un contre projet, celui de «la 1ère station de randonnée d’Europe», envoyé à Mr Dijoud Député Maire de Briançon et Mr Poujade Ministre de l’environnement. Ce projet en direction de ceux qui ne veulent pas retrouver la ville à la montagne, mais plutôt le calme, l’authenticité d’une vie paysanne, et la montagne à l’état naturel, implique la préservation du site naturel et le développement de l’agriculture et de la forêt et comporte 3 volets inséparables :

Sans en tenir compte, le Préfet, par arrêté en date du 11 janvier 1972, ouvre une enquête préalable à la déclaration d’utilité publique en vue de l’expropriation pour intérêt général de 6 500 ha de terres soit, la moitié de la commune de Cervières, en vue de la création d’une station de tourisme. L’enquête ne durera que15 jours, soit la durée minimum légale. L’utilité publique était elle justifiée ? Le document établi à cette occasion, sans aucune concertation, comportait un grand nombre de points de toute évidence très discutables voire scandaleux :
1/ aucune indication sur la future station, et pour cause, aucune étude sérieuse n’avait été réalisée. Le ministère de l’Équipement voulait simplement constituer une réserve foncière mais sans avoir fait de projet précis: une sorte de chèque en blanc .
2/ Les infos données indirectement parlaient alors de station de grand standing pour clientèle de luxe. Comment croire alors à l’utilité publique ?
3/ un investissement démentiel pour un dossier presque vide (10 pages, 10 photos) rempli d’erreurs: un exemple qui nous intéresse aujourd’hui, décrit dans la notice explicative jointe au dossier d’enquête : «… l’itinéraire « facile » à ski par le sommet du Chenaillet est en fait du ski acrobatique ou nécessite de déchausser et d’emmener un piolet ...
4/Les chiffres concernant l’agriculture étaient tous faux.

L’enquête publique suscite une opposition quasi générale relayée par l’AESC qui lance alors une vaste campagne de protestations: pétition nationale : 19 000 signatures (à l’époque pas d’internet), campagne de presse tant locale que nationale, envoi de 500 lettres recommandées à la préfecture par des personnalités.

Face à cette opposition l’administration renonce alors au projet de Super-station mais maintient dans un premier temps celui de constitution d’une réserve foncière par expropriation qu’elle abandonnera en fin de compte.

L’AESC continue son combat: elle organise des réunions culturelles pour diversifier les ressources du village au-delà du tandem agriculture-tourisme, participe au congrès de la Fédération française d’économie de la montagne, édite une brochure, adhère à de nombreuses fédérations de protection de la nature, propose la création d’un refuge aux Fonts de Cervières. Elle reçoit de nombreux soutiens, dont celui d’Haroun TAZIEFF.

De son coté, la commune se mobilise et lors d’une délibération du conseil municipal s’oppose à l’expropriation. Elle crée 2 commissions : Agriculture et Tourisme reprenant les projets de l’AESC et adhère à la Grande traversée des Alpes.

Dans l’histoire du combat contre SUPER CERVIÈRES, on peut sans peine prétendre qu’un savoureux cocktail s’est élaboré entre des circonstances, des passions, des convictions et des personnalités multiples qui ont permis de remporter la bataille. On peut citer l’aide apportée par les protagonistes de l’AESC et la place importante des caractères bien trempés des Cerveyrins, celle des deux Maires, Raymond FAURE BRAC et André GATINEAU en tous points différents mais qui ont chacun à leur manière joué un rôle prépondérant dans ce combat, grâce à eux nous héritons d’une vallée merveilleusement préservée.

Ainsi Serge CAVALLINI a pu écrire dans la revue LE PEUPLE VALDOTAIN

« … la collaboration entre les Cerveyrins, portée sur un esprit d'initiative très vif, a su créer une alternative valable aux projets des spéculateurs qui pensaient s'approprier de la terre et réduire les montagnards , spoliés, à des emplois subalternes. »

Les Cerveyrins, le jour après leur victoire politique, ont commencé à élaborer un plan de développement touristique qui devrait tenir compte et des exigences de la population, et de la conservation du paysage . On peut affirmer que les Cerveyrins ont bien gagné leur bataille, mais l'ennemi n'est pas encore anéanti et n'a pas désarmé. Il faudra par conséquent être attentif; mais je crois tout de même à la victoire finale des paysans s' ils continuent à collaborer, à s'entraider, à éviter les dangereux égoïsmes… ». Quelle clairvoyance ...

Jusqu’en 1980 priorité est donnée au ski de fond. Mais au décès d’André GATINEAU devenu entre temps Maire de la commune, son successeur envisage une liaison téléportée entre le village et la plaine du Bourget + un téléski dans la zone Gondrans-Chenaillet, projet qui heureusement n’aboutira pas, tout comme en 1995 une étude lancée déjà par Montgenèvre pour la liaison avec Cervières.

C’est donc ce serpent de mer (du paléo-océan alpin ?) aménagiste qui refait aujourd’hui surface au Chenaillet depuis sa face Nord.




Carte

En mauve : partie cerveyrine du massif du Chenaillet, constituant le bassin versant adret du marais du Bourget.
Fond de carte : Geoportail/IGN

En 1972, l'AESC médiatise son combat contre la super station. De nombreux articles de presse informent le public de ce projet contre nature. Quelques-uns sont reproduits ci-dessous.

canard_enchaine1972

Le Canard Enchaîné, 16 février 1972 (cliquez pour agrandir)

telerama1972

Télérama, 10 septembre 1972 (cliquez pour agrandir)

Paris Match 1972

Paris Match, 1972 (cliquez pour agrandir)

angle-rose.png
Dernière modification de cette page le 12-09-2015